Etude de l'impact d'un programme de stimulation cognitive sur les fonctions de patients Alzheimer
L’objectif principal de cette étude était d’évaluer l’effet d’un programme de stimulation cognitive sur des processus cognitifs de base de patients DTA (mémoire à court terme et vitesse de traitement) et les principales fonctions exécutives mises en évidence dans la littérature (mise à jour, inhibition et alternance).
Notre étude a montré qu’un programme de stimulation cognitive de trois mois, adapté aux besoins et capacités individuelles, proche de la vie quotidienne, permettait l’amélioration de la mémoire à court terme et de la vitesse de traitement de patients Alzheimer. Ces résultats peuvent être mis en rapport avec les recherches qui ont montré un bénéfice de la stimulation cognitive sur le fonctionnement cognitif général des patients DTA [1, 4, 5]. Une étude a également montré qu’un programme de stimulation cognitive informatisé et interactif, associé à un traitement à base d’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, permettait d’améliorer la cognition des patients Alzheimer (MMSE et AGAS-cog sur 12 et 24 semaines), tandis qu’un traitement pharmacologique seul ne permettait pas d’aboutir aux mêmes résultats [26]. De plus, Buschert et al. [27] soulignent que les programmes de stimulation cognitive globaux favorisant les activités quotidiennes ont un impact plus marqué chez les personnes ayant une atteinte cognitive avancée (patients DTA) que des personnes ayant une atteinte plus légère (personnes présentant une atteinte cognitive modérée). Le programme PPIAA proposé dans cette étude pilote intègre des applications quotidiennes, et a un effet sur des processus cognitifs de base (mémoire à court terme et vitesse) ainsi que sur certaines fonctions exécutives. Ces données confirment les résultats d’une méta-analyse portant sur l’efficacité des méthodes d’entraînement cognitif chez des patients DTA [28]. Ces méthodes auraient un léger effet sur la vitesse motrice et un effet plus marqué sur le fonctionnement exécutif.
De manière générale, les études portant sur l’évaluation des thérapies non médicamenteuses centrées sur la cognition prennent comme critère d’évaluation des mesures du fonctionnement cognitif général (e.g., [29]), mais font rarement une évaluation précise des processus cognitifs spécifiques. Dans cette étude, nous nous sommes intéressées à trois processus du fonctionnement exécutif qui sont l’alternance, l’inhibition et la mise à jour. De nombreuses recherches ont mis en évidence une atteinte sévère des fonctions exécutives chez les patients DTA. En l’occurrence, plusieurs études ont montré un déficit marqué des capacités d’inhibition à la tâche de Hayling, qui implique l’inhibition en mémoire sémantique des informations activées automatiquement [19, 30, 31]. Ce même pattern de résultats a été observé pour les tâches mesurant la mise à jour [19, 31] et l’alternance [14].
La présente recherche montre un bénéfice de la stimulation cognitive sur les capacités d’alternance : les patients en ayant bénéficié ont réalisé la tâche plus rapidement que les patients du groupe témoin. Une différence tendancielle entre les groupes a été observée sur les scores de mise à jour. Aucune différence significative n’a été observée sur les performances d’inhibition. À l’heure actuelle, il est difficile de mettre en lumière nos résultats avec des études antérieures car, à notre connaissance, aucune n’a porté spécifiquement sur l’effet des prises en charge non médicamenteuses sur les différentes fonctions exécutives. Les études antérieures ont évalué le fonctionnement exécutif de manière générale, au moyen de tests neuropsychologiques (voir [28] pour une description des différentes épreuves utilisées). Or, ces épreuves ne permettent pas toujours d’isoler les fonctions exécutives. Ainsi, le test de classement de cartes du Winsconsin [32] mesure des capacités de flexibilité mentale mais également d’inhibition, ce qui renvoie au délicat problème de la pureté des tâches évaluant le fonctionnement exécutif [33]. Au vu de nos résultats, il semblerait que certaines fonctions exécutives soient plus sensibles à un programme de stimulation cognitive que d’autres, puisque nous avons trouvé un effet significatif sur l’alternance, un effet tendanciel sur la mise à jour, mais aucun sur l’inhibition.
Des études devront être menées pour savoir s’il s’agit d’une sensibilité différente des fonctions exécutives aux exercices proposés, ou si, les exercices proposés favorisent plus une fonction qu’une autre. Il est en effet possible que certains exercices aient davantage favorisé l’expression du processus d’alternance, et qu’un entraînement plus ciblé entraîne des effets plus marqués sur les processus de mise à jour et d’inhibition. Bien que non significatives, les différences observées entre le pré-test et le post-test (i.e., augmentation des performances de mise à jour et d’inhibition pour le groupe « stimulation cognitive » et stabilité des scores pour le groupe témoin) nous incitent à prédire un effet de la stimulation cognitive sur ces fonctions avec un effectif plus important.
Un objectif secondaire de cette étude était de tester les données de la littérature selon lesquelles une influence positive des interventions non médicamenteuses de type stimulation cognitive agirait sur l’état thymique (anxiété et dépression) des patients. Nos résultats ont montré que les patients ayant bénéficié de la stimulation cognitive obtenaient de meilleurs scores à l’échelle de dépression. Ces résultats sont en accord avec l’étude d’Olazaran et al. [7], qui a montré que la participation à une thérapie cognitive réduisait les symptômes dépressifs à long terme.
En conclusion, les résultats préliminaires de cette étude pilote soulignent l’intérêt des prises en charge non médicamenteuses de type stimulation cognitive dans la maladie d’Alzheimer. Ils laissent entrevoir les possibilités d’action thérapeutique dans le domaine.
Ces résultats suggèrent en effet que les capacités cognitives et certaines fonctions exécutives peuvent bénéficier d’un entraînement cognitif au cours de la maladie d’Alzheimer. Nos résultats tendent à confirmer l’hypothèse selon laquelle la plasticité cérébrale, en termes de mobilisation et de réorganisation des ressources résiduelles, reste possible chez les patients Alzheimer durant les premières phases de la maladie [34]. Des données encourageantes, provenant d’études d’imagerie, suggèrent que le cerveau est capable de compenser les atteintes liées à la démence par l’activation de certaines zones cérébrales associées à la mémoire et aux lobes frontaux [26], et cela dès les premières atteintes cognitives [35]. À travers le concept de plasticité cérébrale, l’enjeu des prochaines recherches sera d’identifier les mécanismes par lesquels s’opèrent les changements dans la cognition des personnes. Les données prometteuses de cette étude pilote pourront servir de base au développement de programmes visant la rééducation des fonctions exécutives dans la maladie d’Alzheimer. Viser la stimulation des fonctions exécutives semble primordial à l’heure actuelle, car l’atteinte du fonctionnement exécutif liée à la démence est au cœur des difficultés vécues par les patients Alzheimer et par leur entourage. La mise en place d’études randomisées est un enjeu majeur pour les recherches à venir. Des études récentes montrent que les programmes utilisant des essais contrôlés et randomisés sont possibles auprès de personnes âgées saines [36], mais plus difficilement réalisables dès lors qu’un déficit cognitif est décelé [37, 38]. La présente étude pilote indique qu’il est possible de mener ce genre de projet en institution, avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade léger à modéré. Des résultats tangibles sont attendus sur les processus cognitifs de base et les fonctions exécutives dans une recherche future, incluant davantage de participants. Le lien avec des épreuves neuropsychologiques générales pourra aussi être approfondi dans des travaux ultérieurs.