La recherche avance
1. Les facteurs de risque
Mode de vie et risques vasculaires
De nombreuses études mettent en évidence la relation entre une mauvaise santé vasculaire au cours de la vie et le risque de développer plus tard un déficit cognitif et une maladie neurodégénérative.
Parallèlement, des études suggèrent fortement que plusieurs autres facteurs, en relation avec le mode de vie, pourraient avoir un rôle dans le développement de la maladie d’Alzheimer, tels que : le diabète, l’obésité, l’inactivité physique et mentale, la dépression, le tabagisme, un faible niveau d’éducation, ou le régime alimentaire. Ainsi, agir sur les facteurs de risque vasculaires ou sur son hygiène de vie améliore la qualité du vieillissement cognitif et peut retarder l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer.
Les résultats d’études laissent à penser que l’élimination de ces facteurs de risque permettrait de diminuer de 30% les cas de maladies d’Alzheimer.
N’oublions pas toutefois que la maladie d’Alzheimer comporte des lésions bien spécifiques. La survenue de la maladie d’Alzheimer est généralement indépendante des facteurs vasculaires.
Susceptibilité génétique
À côté des très rares cas de maladie d’Alzheimer génétiques, liés à la mutation d’un gène transmise de façon dominante, il existe de façon plus fréquente des facteurs de susceptibilité génétique qui augmentent le risque de développer la maladie. Leur influence reste cependant marginale.
C’est le cas par exemple du gène ApoE4 considéré comme le facteur de risque génétique le plus important pour la manifestation tardive de la maladie d’Alzheimer, même si sa fréquence dans la population reste faible.
La protéine ApoE4 interfère avec l’élimination de la protéine ß-amyloïde du cerveau, lui donnant potentiellement l’occasion de s’accumuler.
Même si l’influence de ces gènes de susceptibilité reste modeste, leur identification permet de cibler de nouvelles pistes thérapeutiques.
2. Le diagnostic précoce
On sait maintenant que les lésions de la maladie sont présentes plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes.
Les médicaments déjà testés dans les essais cliniques ont montré qu’ils pouvaient réduire les lésions cérébrales sans pour autant avoir un impact significatif sur les symptômes.
Ainsi les médicaments pourraient-ils être plus efficaces chez des sujets porteurs de lésions à un stade asymptomatique, ou très précoce de la maladie ? C’est l’hypothèse des chercheurs.
En stoppant le développement des lésions précoces, ces traitements pourraient permettre de limiter, voire d’empêcher, l’apparition des symptômes.
Mettre au point un diagnostic précoce fiable est donc primordial pour la recherche aujourd’hui. On estime que plus de la moitié des patients en France ne sont pas diagnostiqués, ou trop tardivement, rendant l’efficacité des médicaments probablement moindre. L’enjeu est donc de diagnostiquer le plus tôt possible grâce à l’apport des biomarqueurs et des tests plus sensibles et spécifiques.
2.1. Etat pré-symptomatique (avant l’apparition des symptômes)
L’état pré-symptomatique de la maladie d’Alzheimer peut être reconnu chez des sujets dits normaux par la présence in vivo de biomarqueurs, signature de la maladie. A l’heure actuelle, les principaux biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer sont :
- la présence de plaques amyloïdes, identifiées par le TEP SCAN, examen qui permet d’obtenir des images du fonctionnement du cerveau.
- une atrophie (perte de neurones) caractéristique de certaines régions du cerveau, telle l’hippocampe, mise en évidence par l’IRM cérébrale.
- une diminution de la protéine amyloïde et une augmentation de la protéine tau (impliquée dans les dégénérescences neuro-fibrillaires) dans le liquide céphalo-rachidien obtenu par ponction lombaire.
Il est désormais possible de détecter la présence de ces biomarqueurs dans la plupart des centres experts de la maladie d’Alzheimer en France. C’est une avancée considérable pour le diagnostic précoce et un outil d’évaluation de l’efficacité des nouveaux traitements. Aujourd’hui cette approche reste dans le domaine de la recherche.
Par ailleurs, les chercheurs travaillent à la mise en évidence de nouveaux biomarqueurs à l’aide de techniques moins invasives et plus simples à réaliser telles que :
- l’imagerie rétinienne : Des chercheurs ont démontré que la rétine de patients récemment diagnostiqués était nettement plus mince que celle de sujets sains. L’accumulation de plaques amyloïde et la mort progressive des neurones de la rétine seraient responsables de cet amincissement. Il faut maintenant attendre la confirmation de ces travaux récents.
- les analyses sanguines : de plus en plus d’études tendent à montrer qu’une simple prise de sang pourrait bientôt être une nouvelle technique simple de dépistage de la maladie d’Alzheimer. Les recherches sont encore à l’essai, notamment en France, mais se veulent prometteuses (Equipe de Marie-Claude Potier, ICM / Alzohis).
Ces avancées soulèvent la question de la prévention. Il est actuellement difficile d’imaginer un dépistage systématique des personnes à risque :
- parce qu’aucun traitement physiopathologique n’a encore obtenu d’autorisation de mise sur le marché,
- et que rien ne permet d’affirmer de façon certaine que ces personnes développeront un jour la maladie.
2.2. Détection plus précoce des symptômes de la maladie d’Alzheimer
Les troubles légers du comportement (Mild Behavioral Impairment) pourraient être un signe avant-coureur de progression vers un état de troubles cognitifs légers ou de maladie neurodégénérative. Au-delà de la perte de mémoire, les changements de comportement, tels que l’irritabilité ou la perte de motivation, peuvent en être les premiers signes. Dans le but de mettre en évidence ces changements, une nouvelle « grille d’observation » a été créée. Il s’agit d’un questionnaire d’évaluation des comportements prenant en compte 5 domaines (Apathie /Humeur/self-control/Comportement en société/Perception).
Cet outil pourra aussi être utilisé pour les patients dont l’état de démence est avéré afin de :
- mesurer l’étendue de la maladie
- suivre sa progression
- définir des critères d’évaluation de l’efficacité des traitements préventifs.
- Les troubles cognitifs précoces : difficultés nouvelles dans l’utilisation d’outils complexes (ordinateur, portable), dans la gestion des finances, ou dans l’organisation quotidienne. La sensation plus importante de se répéter et de chercher ses mots est également présente.
3. Traitements
Grâce aux progrès réalisés dans le domaine du diagnostic (imagerie médicale, biomarqueurs), on peut maintenant identifier des sous-groupes de patients en fonction du stade d’évolution de leur maladie, mais aussi suivre de plus près l’efficacité d’un nouveau traitement à l’essai.
Les principales approches thérapeutiques aujourd’hui envisagées sont des thérapies dites « disease-modifying » ou traitements de fond, elles visent à agir sur les processus physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer, à savoir :
- prévenir l’accumulation de peptide ß-amyloïde
- ralentir la progression de la dégénérescence neurofibrillaire induite par Tau
3.1. Prévenir l’accumulation du peptide ß-amyloïde
De nombreux arguments plaident en faveur du rôle de l’accumulation intracérébrale de la protéine ß-amyloïde sous la forme de plaques séniles dans la survenue de la maladie d’Alzheimer. Empêcher l’accumulation de ß-amyloïde, en permettant la diminution des plaques séniles, serait un moyen de ralentir l’apparition des symptômes. Différentes méthodes sont à l’essai.
Après l’apparition d’encéphalopathies sévères lors des tous premiers essais de vaccination utilisant un fragment de peptide béta-amyloïde cette approche n’est plus guère développée actuellement.
1 L’immunothérapie active
L’immunothérapie active consiste à injecter une substance afin de :
- stimuler le système immunitaire
- moduler la réponse neuro-inflammatoire
- « vaccination » : après l’apparition d’encéphalopathies sévères lors des tous premiers essais de vaccination utilisant un fragment de peptide béta-amyloïde cette approche n’est plus guère développée actuellement.
2 L’immunothérapie passive
Cette approche consiste à administrer des anticorps hautement spécifiques dirigés contre le peptide ß-amyloïde, permettant la dégradation des agrégats en plaques. C’est aujourd’hui la piste la plus avancée. Plusieurs anticorps ont montré une activité sur les dépôts intracérébraux d’amyloïde, et l’un d’entre eux, l’aducanumab (Biogen,Eisai), a montré des signes d’efficacité clinique. Ce dossier est en cours d’examen par la FDA (Food and Drug Administration) en vue d’une possible mise sur le marché aux Etats-Unis et fait l’objet d’une revue prioritaire. Cela signifie que la FDA doit statuer sur ce dossier au plus tard le 7 mars 2021.
Le développement du solanezumab (Eli Lilly) dans la maladie d’Alzheimer a été pratiquement abandonné après les échecs du programme EXPEDITION (MA sporadique) et de l’étude DIAN-TU (MA familiale autosomique dominante). Seule se poursuit l’étude A4 – étude de prévention chez des sujets ‘à risque’ car asymptomatiques mais ayant une charge amyloïde cérébrale excessive (NCT02008357) – mais ceci au prix d’un quadruplement de la dose et d’une prolongation de l’étude.
Le gantenerumab (Roche) a lui aussi été testé sans succès dans l’étude DIAN-TU. Le développement se poursuit cependant dans la MA sporadique avec 3 études de phase 3. On attend pour la fin du mois d’août 2020, les résultats de l’étude portant sur près de 800 patients au stade prodromal, (NCT01224106). Les études de phases 3 entreprises plus récemment utilisent probablement des doses plus élevées de produit puisqu’elles comportent une augmentation progressive de la dose.
L’échec du programme CREAD ne laisse subsister qu’une étude testant le crenezumab (Roche, Genentech) : l’étude API (NCT01998841) conduite chez les sujets présymptomatiques porteurs d’une mutation, fréquente en Colombie, du gène de la présélinine 1.
Eisai a annoncé en juillet 2020 renforcer son programme de développement du BAN 2401 en collaboration avec Biogen. A l’étude de ph 3 en cours dans la MA aux stade prodromal et léger (CLARITY AD, NCT03887455) vient s’ajouter l’étude AHEAD 3-45 incluant 1045 patients au stade préclinique.
Eli-Lilly a bien commencé l’année 2021 en annonçant le 11 janvier les résultats d’une étude de phase 2 (TRAILBLAZER-ALZ, NCT03367403) de leur anticorps donanemab, qui cible spécifiquement le peptide b-amyloïde déposé dans les plaques amyloïde, montrant un bénéfice clinique statistiquement significatif par comparaison au placebo sur une échelle composite combinant une évaluation des capacités cognitives et les activités de la vie quotidienne chez des patients au stade dit « léger » de la maladie d’Alzheimer.
3 Inhibition de la production de ß-amyloïde
Une autre approche vise à empêcher la formation des plaques en contrôlant les enzymes γ-sécrétase et β-sécrétase impliquées dans la production du peptide ß-amyloïde.
- Un inhibiteur de γ-sécrétase s’est révélé très négatif : effets indésirables cutanés (cancer de la peau), les recherches ont été arrêtées.
- L’espoir que les inhibiteurs de β-sécrétase (BACE) puissent offrir une approche thérapeutique sûre a été démentie par l’arrêt des derniers essais en cours avec cette classe de produit : l’elanbecestat.
3.2. Ralentir la progression de la dégénérescence neurofibrillaire induite par Tau
Chez le sujet sain, la protéine Tau normale stabilise les « microtubules », fibres nécessaires aux transports intra-neuronaux.
Chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, la protéine Tau est « hyperphosphorylée » ce qui provoque la déstructuration des microtubules et par voie de conséquence la dégénérescence du neurone.
La corrélation entre la progression intracérébrale des agrégats anormaux de protéine tau phosphorylés (les ‘’paired helicoïdal filaments’’ ou PHF) et la progression des troubles cognitifs a été bien établie.
Des agents permettant de stabiliser les microtubules, d’inhiber l’hyperphosphorylation de la protéine tau ou de stopper la propagation de la protéine tau anormale permettraient de ralentir la dégénérescence neurofibrillaire.
Les essais thérapeutiques les plus avancés actuellement portent, comme pour la cible béta-amyloïde, sur des anticorps monoclonaux dirigés contre les amas de protéine tau pathologiques.
Quatre de ces produits sont en cours de phase 2 :
- Le semorinemab (Roche, Gennentech, AC immune) avec deux études en cours : une au stade léger de la maladie d’Alzheimer (étude TAURIEL, NCT03289143) chez 457 patients, et une au stade modéré de la maladie chez 260 patients (NCT03828747). Les résultats sont attendus respectivement fin 2020 et en 2021.
- Le zagotenemab (Eli-Lilly) : une étude de phase 2 (NCT03518073) est en cours chez 250 patients atteints de maladie d’Alzheimer (stade non précisé). Les résultats sont attendus pour fin 2021.
- Le gosuranemab (Biogen, BMS) : l’étude de phase 2 (TANGO, NCT03352557) porte sur les stades prodromaux et légers de la maladie d’Alzheimer. Les résultats en sont attendus en 2021.
- Le tilavonemab (Abbvie) : une étude de phase 2 portant sur 453 patients au stade prodromal de maladie d’Alzheimer est en cours. Les résultats sont pévus mi-2021.
En phase 1-2 on trouve l’AAD-VAC 1 (Axon neuroscience) et l’ACI-35.030 (Immune SA et Janssen). Il s’agit là d’immunisation active (« vaccination ») par injection d’un fragment de protéine pathologique afin de déclencher chez les patients la production d’anticorps dirigés contre cette protéine. Cette approche avait été testée pour la cible béta-amyloïde, avec des résultats catastrophiques, si bien que ces développements se font avec une extrême prudence (NCT01850238 et NCT04445831).